Pieds-noirs, entre deux courants contraires

Pieds-noirs, entre deux courants contraires

3 juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie est proclamée. Derrière cette nouvelle, des millions de vies sont bouleversées, celle des Français d’Algérie, les pieds-noirs.  

Les souvenirs, une trace impérissable et indélébile, surtout lorsque ces mêmes souvenirs concernent une terre dont vous êtes tombés amoureux dès la naissance. C’est l’histoire de plusieurs pieds-noirs, des Français nés en Algérie Française, après la déclaration d’indépendance de l’Algérie en 1962. Une histoire pourtant sans trace écrite, et souffrante de ces décennies sans réelle reconnaissance. Le terme même de pied-noir reste toujours flou quant à son origine. Pourtant, une version principale ressort, l’historien Guy Pervillé confirme l’hypothèse que ce terme serait péjoratif envers les Français nés en Algérie, les qualifiant alors de Français de seconde zone puisque ces derniers ne sont pas nés en France. Une remarque née des préjugés, en France, on considérait qu’en Algérie, on marchait pieds nus et que les pieds étaient sales donc noirs. Un mépris pour ces “pieds-noirs”, terme popularisé dans les années 50 et particulièrement lors du début de la guerre en 1954 lorsque la première importante vague de Français d’Algérie décide de rentrer en France. Un total chaos plongeant alors un peu plus d’1 million de pieds-noirs dans une situation plus qu’incertaine. Pour retracer le début de cette guerre et de ce ressentiment contre les pieds-noirs, il est nécessaire de remonter bien avant 1954. Direction les premières manifestations d’après Seconde Guerre mondiale et un 8 mai 1945 sanglant. Une émeute éclate après le meurtre d’un jeune scout brandissant le drapeau algérien par un policier français, les manifestants nationalistes algériens rentrent alors dans une colère noire dirigée contre les pieds-noirs. En quelques jours, plus d’une centaine de pieds-noirs sont assassinés, la réponse de l’armée française est rapide et brutale Un massacre qui n’a pas de chiffre précis tant les sources divergent, selon Benjamin Stora (historien français né en Algérie en 1950) il s’agit de 20 000 à 30 000 victimes, pour le PPA (Partie du Peuple Algérien) il y aurait eu 45 000 victimes. Un véritable bain de sang contre la communauté algérienne, pour beaucoup déclencheur du ressentiment des nationalistes algériens contre les pieds-noirs et l’occupation française en Algérie.

Début de la guerre et du premier dilemme

L’autodétermination est prononcée le 16 septembre 1959. C’est donc tout le peuple algérien qui dispose du choix de rester sous occupation française ou non. On se dirige alors vers une indépendance de l'Algérie qui inquiète beaucoup de pieds-noirs, contraints désormais de faire un choix pour leur futur. Beaucoup vont se montrer à l’encontre des décisions de De Gaulle, encore plus en colère après sa déclaration du 4 novembre 1960 : “La République algérienne, laquelle existera un jour”. L’opinion gaullienne est rejetée avec des manifestations, lors du référendum de 1961 sur l’autodétermination de l’Algérie, le “Non” est à hauteur des 18% des inscrits soit la quasi-totalité des Français et Européens présents en Algérie. Les pieds-noirs sont minoritaires comparés aux Algériens, et l’indépendance se rapproche sérieusement, la France semble accepter l’idée d’une Algérie aux Algériens. Une situation critique pour ces pieds-noirs, ils se tournent alors vers l’OAS (Organisation armée secrète) créée en 1961, une armée clandestine d'extrême droite pour le maintien de l’Algérie française. Des attentats sont alors mis en place pour répandre la terreur et essayer coûte que coûte de garder l’Algérie française. Certains vont opter pour une partition, ils sont convaincus que l’Algérie française va s’éteindre, mais espèrent garder un bout de territoire. Une idée totalement rejetée par les nationalistes algériens du FLN, selon le parti cette partition territoriale est une folie qui ne verra jamais le jour. Ils veulent l’Algérie dans son intégralité, rien d’autre. D'autres pieds-noirs seront partisans de cette Algérie aux Algériens, ils sont en majorité de gauche. On les appellera notamment les pieds-rouges, des communistes révolutionnaires, anticolonialistes pour l’indépendance de l’Algérie et des soutiens du FLN, ils refusent également le rapatriement pour rester dans une République algérienne.

L’après-indépendance, théâtre du rejet des pieds-noirs

Le 3 juillet 1962, les accords d’Évian sont signés, l’Algérie est indépendante. Cette nouvelle va bouleverser la vie de milliers de pieds-noirs. Sur les 1 millions présents en Algérie, 800 000 décident de rallier la France. Pour ces pieds-noirs, il s’agit d’un exil et beaucoup gardent l’espoir d’un retour dans le futur en y laissant leurs maisons et commerces, pour d’autres, il s’agit d’un départ sans retour et ils prennent la décision de brûler leurs biens. On dit que la plupart des pieds-noirs sont arrivés avec une simple valise pour Marseille. Arrivés en France, beaucoup n’y avaient jamais mis les pieds et ne possédaient aucune famille sur place. Ils sont contraints de dormir dans les rues. Un ressentiment est présent à leur encontre, les partisans de droite les considéraient comme des Français de seconde zone et ceux de gauche les qualifiaient de colons profiteurs. Certains prennent la décision de changer de prénom ou de nom pour se faire accepter en France et coupent leurs liens avec leur passé en Algérie.

Pour 200 000 pieds-noirs, il était impossible de quitter une terre qui fut leur maison pendant des générations. Les accords d’Évian leur permettaient de rester en Algérie et d’obtenir la nationalité algérienne dans un délai de 3 ans, mais de renoncer à celle française. Le premier président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella incite ces pieds-noirs à rester pour la construction de cette nouvelle Algérie : “Vous êtes des Algériens, nous aurons besoin de vous”. Pourtant, beaucoup d’organisations nationalistes radicales algériennes continuent les attentats et les violences à l’encontre de ces pieds-noirs restés. Ils sont toujours pour eux des ennemis de l’Algérie et des anciens partisans de l’OAS. Un ressentiment marqué par la guerre et par les accords d’Évian, que les nationalistes algériens trouvent être des prétextes néo-coloniaux à ne pas respecter pour le bien de l’Algérie. Aujourd’hui encore le terme pieds-noirs est controversé et reste lié à un passé douloureux tant cette guerre a marqué les Français et les Algériens. Pourtant, partis ou restés, tous les pieds-noirs sont tombés amoureux d’un même pays et d’une même terre, l’Algérie.

Ismaël EL JAMAL

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