L’IVG et l’importance de son inscription dans la Constitution

L’IVG et l’importance de son inscription dans la Constitution

Dimanche 25 février, à 13h15, sur la chaîne CNEWS, l’IVG était assimilée à une “cause de mortalité” dans le monde, en première place devant le cancer et le tabac. Cette assimilation a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et s’inscrit dans un contexte où le droit à l’avortement, même quand il est acquis, demeure fragile.

 

En 2022, il y avait 234 300 exactement, interruptions volontaires de grossesse enregistrées en France. C’est aussi la première cause de mortalité dans le monde, selon l’Institut Worldmometer, 73 millions en 2022, soit 52% des décès [...]”. Ce sont les mots d’Aymeric Pourbaix, lors de l’émission “En quête d’esprit”, en partenariat avec France catholique, qui ont déclenché une avalanche d’indignations sur le web. Dès le lendemain, CNews s’est tout de suite excusée. “La chaîne CNews présente ses excuses à ses téléspectateurs pour cette erreur qui n’aurait pas dû se produire [et] auprès de toutes les femmes”, a déclaré la présentatrice Laurence Ferrari, au début de son émission diffusée en fin de journée.

 

 

Malgré tout, les réactions ne se sont pas faites attendre, notamment en ligne. “47 000 femmes meurent chaque année dans le monde des suites d'un avortement clandestin. L'avortement doit partout être garanti. C'est une liberté fondamentale de chaque femme. Inscrivons-la dans la Constitution et protégeons-la !” a tweeté Aurore Bergé, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

 

 

Et elle n’était pas la seule à vouloir que le droit à l’IVG figure dans la Constitution. “Pour toutes celles et ceux qui se demandent pourquoi il faut constitutionnaliser pour définitivement protéger l'IVG. Voilà pourquoi !” s’est indigné, Sacha Houlié, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

 

 

L’avortement n’est ni une maladie, ni un crime contre autrui. L’avortement est une liberté. Ces propos sont indignes. Plus que jamais, l’inscription de l’IVG dans la Constitution engagée par Emmanuel Macron est une avancée essentielle”, a aussi réagi le ministre délégué chargé de la Santé, Frédéric Valletoux.

 

 

D’autres ont rappelé les sanctions encourues par Cnews avec de tels propos. “Pour rappel le délit d'entrave à l'IVG est pénalement condamné en France”, s’est insurgée Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne.

 

 

L’ARCOM (Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique), a par ailleurs été saisie par le groupe La France Insoumise.

 

La constitutionnalisation du droit à l’avortement est apparu pour beaucoup comme essentielle. La premier pas avait déjà été fait fin janvier : l’Assemblée nationale a adopté à 493 voix contre 30 le projet de loi constitutionnelle. Le mercredi 28 février, c’est le Sénat qui s’est prononcé sur ce point et qui a voté à majorité avec 267 voix et 50 voix contre, en faveur de l’inscription de l'IVG dans la Constitution. Cette deuxième étape, cruciale, n’était pourtant pas gagnée.

Le président de la chambre haute, Gérard Larcher, avait déclaré être opposé à cette inscription. Une pétition à ce sujet avait même été lancée. Intitulée “Monsieur Larcher, votez pour l’IVG”, elle avait recueilli 95 000 signatures. La pression sociale et médiatique avait d’ailleurs fait changer d’avis certains sénateurs. “Je vais voter pour le projet de loi. J’en ai marre de me faire engueuler par ma femme et ma fille”, avait avoué l’un d’eux.

 

Outre cette opposition qui avait annoncé un vote compliqué et des débats houleux, un amendement pour modifier le texte voté au Sénat avait été déposé par Philippe Bas, et aurait bien pu retarder le processus, s’il avait été accepté. “La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse”. C’était les termes de “liberté garantie” qui posait problème et Philippe Bas avait donc proposé de retirer le mot “garantie” du texte. “Cet amendement vise à lever les incertitudes juridiques qui pèsent sur l'utilisation du terme “garantie””, avait déclaré le sénateur. Si cette rectification avait été votée par le Sénat, le projet de loi serait reparti pour un nouveau vote à l’Assemblée nationale puisque les deux textes doivent être obligatoirement acceptés dans les mêmes termes. Finalement, les sénateurs ont finalement rejeté cette proposition ainsi qu’une autre qui incorporait la clause de conscience des médecins.

 

Nombreux sont celles et ceux qui ont salué cette avancée considérable, à commencer par le Président de la République lui-même. “Je me suis engagé à rendre irréversible la liberté des femmes de recourir à l'IVG en l’inscrivant dans la Constitution. Après l'Assemblée nationale, le Sénat fait un pas décisif dont je me félicite. Pour le vote final, je convoquerai le Parlement en Congrès le 4 mars” a-t-il tweeté sur X.

 

 

Le premier ministre, Gabriel Attal, s’en est également réjoui : “Il y a des jours qui marquent l'histoire politique et parlementaire de notre pays. Ce jour en fait partie”. 

 

 

C'est une victoire féministe immense”, a réagi la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. “Le Sénat a écrit une nouvelle page du droit des femmes” a déclaré Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice. “Ce vote est historique, nous serons le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution cette liberté pour les femmes à disposer de leurs corps”.

 

Avec la constitutionnalisation de l’IVG, la France devient alors une pionnière dans la protection du droit à l’avortement. Même s’il ne paraît pas en danger dans l’Hexagone, certaines actions Anti-IVG avaient été enregistrées sur le territoire français. En mai et juin 2023, l’association “Les Survivants”, contre l’avortement, avait revendiqué la campagne d’affichage sauvage sur les Vélibs parisiens qui avait déclenché une vague d’indignation. Sur les vélos l’on pouvait lire sur les affiches collées “Et si vous l’aviez laissé vivre ?”. En septembre 2022, le Planning familial avait lancé un nouveau site internet dont l’un des objectifs était de lutter contre la désinformation. En effet si l’on souhaite s’informer sur l’avortement, plusieurs sites, qui apparaissent parfois devant celui du gouvernement ou du Planning familial, se révèlent être contre l’avortement. Avec de faux numéros verts, leur but est d’ensuite dissuader les femmes souhaitant avorter. Ces pratiques sont pourtant illégales depuis la promulgation de la loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, en mars 2017.

 

Demeurant fragile, le droit à l’avortement même acquis, peut très bien être retiré par les institutions politiques. C’était là toute l’importance de l’inscrire dans la Constitution en France. Outre Atlantique, en juin 2022, la Cour Suprême des États-Unis annulait l’arrêt fédéral, Roe vs Wade, qui permettait la garantie de ce droit dans tout le pays. Avec cette annulation, ce sont les États fédéraux qui peuvent décider librement d’autoriser ou non l’avortement. À ce jour, ce sont 14 États qui l’ont interdit, sans exception pour le viol ou l’inceste.

En Pologne, le Tribunal constitutionnel avait, en 2021, régressé et proscrit l’avortement, sauf en cas de en cas de danger pour la mère, de viol ou d’inceste, le jugeant incompatible avec la constitution. Et même là où il est légal d’avorter, il est parfois compliqué de le faire. En Italie, selon le ministère italien de la santé, en 2020, 64,6% des gynécologues refusaient de pratiquer l’avortement, invoquant l’objection de conscience. En Hongrie, depuis 2022, les femmes souhaitant avorter sont obligées d’écouter battre le cœur de leur fœtus.

 

La France, avec l’inscription de l’IVG dans sa Constitution, sécurise ainsi cette “liberté” et rend ainsi un retour en arrière beaucoup plus compliqué. C’est le 4 mars, lors de la réunion du Congrès, que la décision finale a été rendue avec 780 voix pour et 72 voix contre. Un résultat sans appel qui a été officialisé quelques jours plus tard à la date symbolique du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, où Eric Dupond-Moretti a apposé le sceau de la République, inscrivant officiellement l’IVG comme “liberté garantie” dans la Constitution. 

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